Aménagements de la loi Littoral et projet de loi ELAN
1.
Le projet de loi portant Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (ci-après ELAN) a été déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale le 4 avril 2018.
Ce projet de loi a fait l’objet d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’Etat.
Initialement, aucune dispositions n’est relative à la loi Littoral ou à l’urbanisation des communes littorales.
Il est seulement indiqué dans l’exposé des motifs que « la tension sur la demande de logements peut être particulièrement forte dans les grandes villes et les métropoles ou dans des territoires très attractifs comme les franges littorales, où elle contribue à creuser les inégalités. La pénurie de logements éloigne de l’emploi les moins privilégiés d’entre nous et freine la mobilité géographique et la mixité sociale, induit de longs déplacements pour ceux qui doivent vivre loin de leur lieu d’étude ou de travail. Le besoin de logement est criant pour certains, alors que s’installent des phénomènes de spéculations foncières inflationnistes qui ralentissent encore le développement de l’offre ».
L’étude d’impact et l’avis du conseil d’Etat précités, ne comprennent aucun élément relatif à l’urbanisation des communes littorales.
Le rapport d’information du député Jean-Paul MATTEI (n° 943), est lui aussi totalement muet sur un aménagement de la loi Littoral.
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi.
En conséquence et conformément à l’article 45 de la Constitution du 4 octobre 1958 le gouvernement pourra, en cas de désaccord entre les deux Assemblées sur ce projet de loi, provoquer « la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » après une seule lecture par chacune d'entre elles.
2.
Ce projet de loi a été renvoyé à la commission des affaires économiques.
A l’occasion de ce passage en commission, le texte initial du Gouvernement a été particulièrement enrichie.
Comme le relèvent M. Richard LIOGER et Mme Christelle DUBOIS, dans le cadre de leur rapport (n° 971) fait au nom de la commission des affaires économiques : « L’examen de ce projet de loi en commission des affaires économiques a donné lieu à la discussion de 2 437 amendements, ce qui constitue un record pour la commission. Ce nombre d’amendements témoigne du caractère transversal de ce projet de loi et de l’importance accordée par les élus et nos concitoyens aux sujets du logement et du cadre de vie. Au cours des 40 heures de débats, la commission a adopté 401 amendements provenant de presque tous les groupes politiques. Le texte de la commission, discuté en séance publique, est donc considérablement enrichi et précisé sur de nombreux points » (extrait du Rapport n° 971 p. 16 et 17).
C’est à l’occasion de ce passage en commission, lors de sa séance du 16 mai 2018, que plusieurs amendements visant à modifier la loi Littoral, ont été adoptés avec l’avis favorable du Gouvernement.
La commission des affaires économiques a adopté 4 articles modifiant la loi Littoral, à savoir les articles 12 quinquies, 12 sexies, 12 septies et 12 octies.
3.
La loi Littoral (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral) est une législation spéciale régissant, notamment, l’urbanisation des communes littorales (V. l’article L. 321-2 du Code de l’environnement pour la définition des communes littorales) et consacrant des règles d’urbanisme plus contraignantes, dérogatoires au droit commun.
Cette loi a été adoptée à l’unanimité, même s’il convient de tempérer l’importance de cet élément dès lors que « son contenu fut très peu débattu, devant un auditoire clairsemé » (S. Ferrari, « La loi Littoral entre deux eaux » RFDA 2017 p. 1161).
Ces dispositions sont aujourd’hui majoritairement codifiées aux articles L. 121-1 et suivants du Code de l’urbanisme (auparavant L. 146-1 et suivants du même Code).
4.
S’agissant de l’article 12 quinquies.
Cet article vise à modifier les articles L. 121-3 et L. 121-8 du Code de l’urbanisme.
Aux termes de l’article 12 quinquies, à l’issue de son passage en commission des affaires économiques, il est prévu que l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme soit complété par un alinéa ainsi rédigé « Le schéma de cohérence territoriale peut, en tenant compte des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire, préciser les modalités d’application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8, et en définit la localisation ».
L’article L. 121-8 du Code précité serait quant à lui ainsi modifié : « a) À la fin, les mots : « , soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » sont supprimés ; b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : « Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées lorsqu’elles n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par leur densité et leur caractère structuré ».
Enfin, cet article prévoit également l’application dans le temps de ces dispositions et les mesures transitoires afférentes : « II. – Le 1° et le b du 2° du I sont applicables à compter du 1er janvier 2020. Jusqu’au 31 décembre 2019, lorsque le schéma de cohérence territoriale n’a pas localisé les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages délimités par le plan local d’urbanisme, des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées dans ces secteurs avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ».
S’agissant de la modification de l’article L. 121-3 du Code de l’urbanisme, celle-ci vise à « renforcer la portée des SCOT dans la mise en œuvre de la loi Littoral » dès lors que ce « document intercommunal qui se déploie à l’échelle d’un bassin de vie, est pertinent pour permettre la prise en compte des spécificités locales et préciser les différentes formes urbaines » (extrait du rapport n° 971 fait au nom de la commission des affaires économiques p. 199).
Cette modification se situe dans le prolongement de l’esprit de la loi Littoral.
En effet, en continuité avec l’effort de décentralisation, initié quelques années auparavant en 1982, il ressort de cette législation qu’elle utilise des principes et des notions ne comprenant pas de définitions juridiques précises afin que les « décideurs locaux [puissent] traduire dans des documents ou par les différentes autorisations délivrées, le droit applicable par rapport à une appréhension des espaces physiques qu’ils ont à gérer » (J. Lacombe, S.F.D.E « La loi Littoral » Paris, ECONOMICA, 1987 p. 19)
S’agissant de la modification de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, celle-ci vise à supprimer la notion d’hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, et à permettre le comblement des dents creuses dans des secteurs d’urbanisation intermédiaires c’est-à-dire : « entre le village et l’urbanisation diffuse ». Ces secteurs « devront avoir une certaine densité, être dotés d’un caractère structuré et les modifications ne devront pas conduire à étendre leur surface actuelle » (extrait du rapport n° 971 fait au nom de la commission des affaires économiques p. 199).
Cette modification de la loi Littoral est régulièrement présentée par des parlementaires depuis de nombreuses années.
Lors du débat en commission, la question s’est posée de savoir si cet assouplissement de la loi Littoral allait conduire à une urbanisation de la bande des cent mètres.
M. Julien DENORMANDIE a confirmé dans le cadre de ces débats que « les constructions sur la bande des cent mètres resteront interdites » (extrait du rapport n° 971 fait au nom de la commission des affaires économiques p. 202).
Le fait que cette modification de la loi Littoral n’ait pas été précédée d’étude d’impact a également été relevé en commission : « Pour ce qui est de la loi Littoral, je souhaite que nous prenions garde aux accélérations et aux renoncements auxquels peuvent aboutir certaines nouvelles dispositions. Des maires ont fait des choix volontaristes pour sauvegarder l’identité de leur territoire en préservant l’environnement sur les zones littorales et la qualité patrimoniale de leur ville. Ne décidons pas de dérogations sans avoir au préalable mené d’études d’impact. Ce serait dangereux » (extrait du rapport n° 971 fait au nom de la commission des affaires économiques p. 201).
Le potentiel d’urbanisation qui résulte de cette modification de la loi Littorale mériterait en effet que soit réalisée une étude d’impact afin que l’on puisse apprécier les effets de cet assouplissement des contraintes de la loi Littoral.
A la suite de son passage en séance publique à l’Assemblée Nationale, plusieurs amendements sont venus édulcorer l’adoption de cet article 15 quinquies.
En premier lieu, des amendements sont venus expressément consacrer le fait que l’urbanisation des dents creuses dans les secteurs intermédiaires ne pouvait avoir lieu qu’en dehors « de la bande littorale de cent mètres et des espaces proches du rivages » et des « rives des plans d’eau mentionnées à l’article L. 121-13 » du Code de l’urbanisme, c’est-à-dire « des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares ».
En second lieu, deux autres amendements sont venus encadrer l’urbanisation des dents creuses en permettant le refus de l’autorisation quand elle est « de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages » et en ne l’autorisant qu’à « des fins exclusives d’amélioration de l’offre de logement et d’implantation de services publics ».
En dernier lieu, l’article L. 121-3 a été modifié pour rendre plus opérationnel les SCOT en adoptant un dispositif plus impératif de mise en œuvre des prescriptions de la loi Littoral. Il incombera désormais impérativement aux SCOT de définir les critères d’identification des agglomérations et villages, mais également des secteurs intermédiaires.
5.
S’agissant de l’article 12 sexies.
Cet article vise à réécrire l’article L. 121-10 du Code de l’urbanisme pour prévoir désormais que : « par dérogation à l’article L. 121-8, les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles et forestières peuvent être autorisées, en dehors des espaces proches du rivage, avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Cet accord est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter une atteinte à l’environnement et aux paysages. Le changement de destination de ces constructions et installations est interdit ».
Cette évolution de la loi Littoral vise principalement à supprimer l’exigence actuellement en vigueur dans l’article L. 121-10 du Code de l’urbanisme selon laquelle l’extension de l’urbanisation pour la création de bâtiments liés aux activités agricoles et forestières, ne peut se faire que si ces activités sont incompatibles avec le voisinage.
A la suite de son passage en séance publique, cet article a été adopté avec une modification prévoyant que la dérogation à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, pour les activités agricoles et forestières, peut être refusée lorsque les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte « à l’environnement ou aux paysages » et non plus « à l’environnement et aux paysages ».
Il s’agissant alors de rétablir la rédaction précédente de cet article qui avait été assouplie à la suite du passage en commission des affaires économiques.
6.
S’agissant de l’article 12 septies.
Cet article crée un nouvel article L. 121-12-1 du Code de l’urbanisme prévoyant que : « Dans les territoires ultra-marins et dans les territoires insulaires de métropole, les constructions ou installations nécessaires à des équipements collectifs peuvent être autorisées, par dérogation à l’article L. 121-8, lorsque leur localisation est justifiée par des nécessités techniques impératives. Cette dérogation s’applique en dehors des espaces proches du rivage et est soumise à l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Cet accord est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter une atteinte significative à l’environnement ou aux paysages ».
Ce nouvel article vise à pallier d’éventuelles contraintes d’ordre technique qui « peuvent justifier que des équipements répondant à la satisfaction d’intérêt collectif soient implantés en discontinuité de l’urbanisation existant. Pensons aux installations de gestion des déchets qui nécessitent des distances d’éloignement à respecter par rapport aux habitations ou à la nécessité d’implanter un équipement à un endroit précis, une station de potabilisation d’eau à côté d’une nappe phréatique par exemple » (extrait du rapport n° 971 fait au nom de la commission des affaires économiques p. 208).
A la suite de son passage en séance publique à l’Assemblée Nationale le 1er juin 2018, cet article a été supprimé.
7.
Enfin, s’agissant de l’article 12 octies
Cet article vise à modifier l’article L. 121-12 du Code de l’urbanisme afin d’élargir aux centrales solaires ces dispositions actuellement applicables à l’éolien.
Cet article permet l’implantation de ces équipements en discontinuité d’urbanisation.
Il ressort en effet de la jurisprudence administrative que l’implantation de panneaux photovoltaïques constitue une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme : « Considérant d'une part, que l'implantation de champs de panneaux photovoltaïques, même fixés sur supports métalliques à plus d'un mètre du sol, et la construction des bâtiments annexes nécessaires au raccordement de l'électricité produite au réseau, constitue une extension de l'urbanisation au sens de ces dispositions » (CAA Bordeaux 4 avril 2013 n° 12BX00153).
Cet assouplissement de la loi Littoral vise à permettre d’atteindre les objectifs ambitieux de production d’énergie renouvelable fixés par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Il est cependant paradoxal qu’afin de satisfaire à des exigences écologiques, il soit nécessaire de remettre en cause une législation phare dans la protection de l’environnement, d’autant plus qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée à ce titre s’agissant du potentiel de création de champs de panneaux photovoltaïques ou encore des éventuelles conséquences pour les communes littorales et leurs écosystèmes.
A la suite de son passage en séance publique à l’Assemblée Nationale le 1er juin 2018, cet article a été supprimé, notamment à l’initiative du gouvernement, aux motifs que contrairement aux éoliennes ces installations sont très consommatrices d’espaces et n’exigent pas de devoir respecter des distances d’éloignement vis-à-vis des zones habitées.
8.
Les modifications de la loi Littoral qui ont été adoptées par l’Assemblée nationale, vont désormais être étudiées par le Sénat.
