Construction de 14 villas à Purtichju (Grosseto-Prugna) – espace remarquable et urbanisation non limitée
CAA Marseille 24 mai 2017 SNC CAPITELLO PARETTI n° 15MA01780
1.
Plusieurs associations de protection de l’environnement ont demandé l’annulation du permis d’aménager un terrain situé au lieu-dit Casavone à Porticcio, délivré le 18 juillet 2014 sous le n° PA 2A 130 14 0002 à la SNC Capitello Peretti par le maire de la commune de Grosseto-Prugna.
Par jugement du 19 mars 2015, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à leur demande, en retenant les motifs tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 146-6 et L. 146-4-II du code de l’urbanisme et de l’exception d’illégalité du plan d’occupation des sols de la commune classant le terrain du projet en zone constructible en méconnaissance des articles L. 146-6 et L. 146-4-1 du code de l’urbanisme.
La société Capitello Peretti a fait appel de ce jugement.
2.
La première question qui se posait à la Cour administrative d’appel, était de savoir si les terrains concernés par l’opération immobilière pouvaient être qualifiés d’espaces remarquables.
Aux termes de l’article L. 121-23 du Code de l’urbanisme (auparavant 1ère alinéa de l’article L. 146-6) : « les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ».
Dans la présente affaire, le schéma d’aménagement de la Corse avait précisé les modalités d’application de ces dispositions en prévoyant que : « sont considérés comme espaces naturels exceptionnels, (…), les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type I. (…) Il paraît nécessaire que dans les zones qui ne font pas déjà l’objet d’une protection particulière, les autorités responsables usent de leur pouvoir de préservation spécifique pour les garantir, notamment contre les constructions susceptibles de les dénaturer (…). ».
La cour administrative d’appel de Marseille en a donc déduit qu’en application combinée de ces dispositions les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type I sont présumées constituer des sites ou paysages remarquables. Toutefois, si cette qualification présumée est contestée, leur caractère remarquable doit être justifié (V. sur ce dernier point, pour le même principe s’agissant d’un site inscrit ou classés en application de la loi du 2 mai 1930, CE 19 juin 2013 commune de La Teste-de-Buch n° 342061).
3.
En l’espèce le terrain d’assiette du projet était situé dans une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type I « Dune de Porticcio – Zone humide de Prunelli-Gravona » en raison de la présence d’espèces végétales et animales, telles que deux sortes d’orchidées, la Serapias Parsiflora et la Serapias Neglecta, toutes deux protégées par l’arrêté du 20 janvier 1982 modifié relatif à la liste des espèces végétales protégées sur l’ensemble du territoire national et le guêpier d’Europe, oiseau inscrit sur la liste des espèces protégées établies par l’arrêté du 17 avril 1981 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire ainsi qu’à l’annexe II de la convention de Berne et à l’annexe II de la convention de Bonn.
Les requérants avaient produits en première instance une étude, réalisée par le muséum d’histoire naturelle, qui expliquait qu’alors même que les nids des oiseaux ne sont pas situés dans la zone de construction, le projet d’urbanisation de la zone risquait de mettre en péril la colonie par les nuisances susceptibles d’être créées du fait que l’ensemble du terrain est utilisé par les oiseaux pour se nourrir et se reposer. Cette étude précisait également que le guêpier d’Europe est rare en Corse et en régression alors que cette colonie est une des plus importantes localisées dans le secteur du projet.
En outre, la Cour a relevé que le terrain en litige, en partie boisée, notamment de chênes lièges, a été inscrit à l’inventaire des sites pittoresques de la Corse par un arrêté du 1er mars 1951, pris en application de la loi du 2 mai 1930.
Enfin, il ressortait des différentes photographies et cartes produites au dossier que le terrain d’assiette du projet, de forme triangulaire, bordait sur un côté le rivage, dans un secteur vierge de toute construction, puis longeait sur un autre côté un espace construit et, enfin, sur le dernier, jouxtait une vaste zone naturelle.
En conséquence, selon les juges d’appel marseillais, et en dépit de la subsistance de quelques rares vestiges d’installations provenant d’un ancien village de vacances, fermé depuis le début des années 1990, qui ne permet pas de faire regarder le terrain en litige comme urbanisé, le tribunal a jugé à bon droit que ledit terrain est bien inséré dans un espace remarquable qui bénéficie de la protection prévue par les dispositions précitées de l’article L. 121-23 du Code de l’urbanisme. Par la suite, le permis d’aménager contesté méconnaissait ces dispositions telles que précisées par le schéma d’aménagement de la Corse et encourait de ce fait l’annulation.
4.
La cour administrative d’appel avait également à s’interroger sur le fait de savoir si l’opération immobilière en cause méconnaissait les dispositions des articles L. 146-4-I (L. 121-8) et L. 146-4-II du Code de l’urbanisme (désormais L. 121-13).
Selon ces articles, d’une part, « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement », et d’autre part, « l'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article L. 321-2 du code de l'environnement est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer ».
Faisant la combinaison de ces dispositions la Cour administrative d’appel énoncera alors que : « l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage ne peut être autorisée que si elle a un caractère limité et à condition qu’elle soit réalisée soit en continuité avec une agglomération ou un village existant, soit en formant un hameau nouveau intégré à l’environnement ; »
Un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 26 octobre 2001 avait précédemment adopté un tel considérant (CE Ass. 26 octobre 2001 n° 21647, Publié au Recueil mais sur un autre point) que la Cour administrative d’appel de Marseille avait déjà repris une fois en 2011 (CAA Marseille 1er juin 2011 ASSOCIATION FRENE 66 n° 09MA02167).
Selon les juges administratifs marseillais si le terrain du projet, qui est situé à proximité du rivage, ayant même un accès direct à la mer, et s’intègre au nord dans une vaste zone naturelle, se trouve sur un côté proche d’un secteur urbanisé, il en est séparé par une voie et ne peut être regardé comme en continuité avec une agglomération ou un village, ni ne forme un hameau nouveau intégré à l’environnement.
En outre, par l’importance du projet portant sur quatorze lots d’une surface de plancher de 3 608 m², la réalisation de ce permis ne constitue pas davantage une extension limitée de l’urbanisation.
Le permis d’aménager en cause méconnaissait donc également les dispositions précitées de la loi Littoral.
